LES ARMES : FACILE DE S'EN PROCURER ?


"Il est facile, en France, de se procurer une arme !" Depuis quelques temps, on entend, dans les médias principalement, cette petite musique, distillée par petites doses. Récemment, sur une radio nationale, un court reportage portait sur un journaliste se rendant chez un armurier, se faisant passer pour un potentiel acheteur d'une arme et désireux de ne pas déclarer son achat. L'armurier, semblait dire que cela ne posait pas de problème. Oui cela est en effet très inquiétant ! Cet armurier devrait immédiatement se retrouver sous les verrous !!
Ce qui me gêne dans ce reportage, c'est qu'il est totalement à charge ! Il généralise la pratique des armuriers, en donnant l'impression que la fraude est courante. De facto, le lien entre armes et dangerosité se fait immédiatement et subrepticement dans l'esprit des auditeurs, dont l'attention n'est peut-être pas maximale. D'ailleurs, qu'il soit attentionné ou pas, l'auditeur prend pour argent comptant ce qu'il entend, d'autant qu'il n'a probablement pas une connaissance suffisante du sujet, et ne peut donc pas réagir objectivement.

Ce qui me gêne dans ce reportage, c'est qu'il n'y a aucun débat contradictoire, ou en tous cas aucun développement, avec un apport de données diverses, détaillées, factuelles et surtout objectives. On ne sait rien de cet armurier, s'il a un casier judiciaire, s'il est surveillé par la police, s'il se situe dans un quartier sensible, si des enquêtes de police démontrent que ce cas n'est pas isolé, quel est le taux de mortalité moyen annuel par armes à feu par rapport au nombre d'armes officiellement détenues par des civils, etc. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi ce minuscule reportage est programmé ainsi à l'antenne, comme un cheveu qui tombe sur la soupe ???
Je tiens à être clair : loin de moi l'idée de faire l'apologie des armes. Oui elles sont mortelles ! Mais je mettrai en balance le fait qu'elles sont aussi mortelles que la famine, une épidémie de grippe, une route verglacée, une poile à frire, un rouleau à pâtisserie, 2 mains qui enserrent un cou, une opération chirurgicale, la pollution, le suicide, l'amour, etc., etc. Je pourrais poursuivre cette litanie pendant des heures, mais cela ne ferait pas plus avancer mon propos.
Je vous encourage à faire des recherches sur internet sur le sujet (par exemple ici). Les données statistiques sont innombrables, pas toujours actualisées mais donnant tout de même une certaine idée de la situation, même si, comme toujours, il faut relativiser les informations présentées puisque l'on a pas la possibilité de vérifier les chiffres, les écrits, les commentaires et leurs sources.

Donc, soyons factuels. Ce qui suit est primordial et vous permettra de vous faire une idée juste de ce qui est, et donc de bien décrypter les fadaises qui circulent ! Je vais vous décrire le parcours officiel pour obtenir une arme, vécu personnellement puisque je suis tireur, dit de "loisir", (par opposition à de "compétition") et que je pratique très régulièrement, comme un sport (je développerai ce point plus loin).
Vous allez découvrir que l'obtention officielle d'une arme est un parcours du combattant ! Rien à voir avec certaines rumeurs qui circulent et peut-être propagées par des personnes qui ne connaissent rien des armes, qui n'en ont même jamais vues de près ni même tenu une en main, ou qui, de manière dogmatique, rejette tout en bloc !
  • Première étape : il faut tout d'abord s'inscrire dans un club de tir officiel. 
D'abord obtenir une licence et un carnet de tir. Puis, pendant un an, s'entraîner avec les armes du club. Les débuts se font souvent par du tir avec des carabines ou des pistolets à plomb, à 10 mètres ! Et oui ! On n'est qu'à 10 m, on tire des petits plombs, il n'y a aucun recul de l'arme : ce doit être facile. Et c'est là (à moins d'être un génie) qu'on s'aperçoit qu'il va falloir beaucoup de pratique avant de réaliser des tirs de qualité, sur une cible (voir photo) dont le centre fait 4,5 cm ! Au bout d'un certain temps, l'envie est naturelle de vouloir s'essayer à des calibres supérieurs : les tirs s'effectuent sur une cible située à 25 m (c'est loin, et là encore il faut du temps pour faire des groupements corrects). Pendant cette période, il faut faire valider (tamponné) son carnet de tir, chaque trimestre, par un contrôle de tir, à des dates déterminées par le club. Soit, 3 tampons qui normalement légitiment la demande d'acquisition d'une arme personnelle, en obtenant du club un feuillet vert, signé par le président du club et par la Fédération.
  • Deuxième étape: obtenir le feuillet vert. 
Il est indispensable pour poursuivre le processus, mais le club ne le délivre pas si facilement. Être présent 3 fois dans l'année, juste pour le tampon, n'est pas suffisant, voire suspect !! Le nouvel adhérent doit venir très régulièrement (une à deux fois par semaine), pour s'intégrer à la vie du club. Il créé des liens avec les autres tireurs et les responsables du club, et démontre son intérêt pour le tir. A partir de là, le club peut estimer les motivations générales de l'adhérent. Évidemment, l'adhérent peut feindre d'être moralement correct, juste pour obtenir les sésames qui ouvrent les portes de l'autorisation d'achat d'une arme. Mais franchement, passer autant de temps à pratiquer une activité pour laquelle on a aucune motivation.... Donc il faut 1 an avant de penser à s'acheter une arme.

Pourquoi s'acheter sa propre arme, me direz-vous ? Pour une raison technique principalement. En effet l'utilisation d'une arme demande que des réglages soient faits pour adapter l'arme aux caractéristiques physiques du tireur. Par exemple, les instruments de visée (le cran de mire à l'arrière et le guidon au bout de l'arme) s'adaptent en fonction de "l'oeil directeur" du tireur, qui n'est pas le même pour tout le monde. Quand vous fermez un oeil, en général le gauche pour les droitiers (même problème pour les gauchers), il faut effectuer divers réglages des instruments de visée pour que la ligne de mire (l'axe entre le cran de mire et le guidon) corresponde à votre oeil et permette un tir droit. Donc le tireur qui utilise les armes du club est souvent confronté au problème des réglages qui changent régulièrement en fonction du tireur précédent. Cela peut aussi concerner le confort de l'arme ressenti par le tireur : tenue en main, poids, longueur du canon, esthétique, etc. La pratique s'en ressent. Et légitimement, un tireur désireux d'améliorer sa pratique, pense à avoir sa propre arme, qu'il va choisir avec soin, et qui, une fois réglée, lui permettra de se concentrer, non plus sur les problèmes techniques de l'arme, mais sur les techniques du tir en lui-même !
  • Troisième étape : établir un dossier de demande
Une fois le papier vert en main, le processus administratif ne fait que commencer. Il faut réunir un certains nombre de documents : acte de naissance de moins de 3 mois, certificat médical de moins d'un mois, une photocopie de sa carte d'identité, une photocopie de la facture d'achat d'un coffre-fort, remplir divers documents officiels concernant l'arme que l'on veut acheter, etc., etc. Puis, le dossier complet, il faut l'apporter à une préfecture ou sous-préfecture pour s'enregistrer.
  • Quatrième étape : contrôle du coffre-fort
Depuis l'année dernière, une nouvelle réglementation a vue le jour. Elle concerne principalement le classement des armes en de nouvelles catégories (je n'entrerai pas dans le détail). Mais ce qui est nouveau c'est que désormais il faut s'attendre, au mieux dans les 2 mois qui suivent le dépôt du dossier, à la visite de la police ou de la gendarmerie, pour vérifier que vous avez bien un coffre-fort, qu'il est bien scellé et que vous êtes de seul détenteur des clés !! Cette mesure vient s'ajouter à la vérification de votre casier judiciaire, et à une enquête de voisinage. J'ajoute que depuis quelque temps les 2 mois sont régulièrement dépassés, allongeant d'autant les délais d'attente !!
  • Cinquième étape : obtenir son arme
Une fois votre autorisation obtenue, vous l'envoyez à votre armurier, avec une photocopie de votre carte d'identité. Vous avez 3 mois pour acheter votre arme dès que vous avez reçu l'autorisation.
Il faut bien sûr que vous ayez fait votre choix : modèle, calibre, etc. L'offre d'armes est pléthorique et il n'est pas toujours possible de faire des tests chez les armuriers, pas nécessairement outillés pour cela. En parallèle, l'armurier envoie le document de vente à l'administration, document contenant, entre autre, le numéro de l'arme.

Le processus est terminé. L'armurier vous envoie votre arme en 2 colis séparés, ce qui évite qu'un colis, qui aurait contenu l'arme entière ne se perde ou soit volé et tombe dans de mauvaises mains. Mais il existe une 6 ème étape, qui, si elle n'est pas respectée, permet à l'administration de vous retirer votre arme !!
  • 6 ème étape : le renouvellement 
Depuis 2014, vous devez tout recommencer....tous les 5 ans ! Avant c'était tous les 3 ans.

Donc, pour finir, il me semble que l'acquisition d'une arme ne se fasse pas d'un claquement de doigts. Sans parler du coût global de l'arme et de ce que l'on en fait (loisir, compétition, etc.). J'y reviendrai dans un prochain article.

Alors, à ceux qui nous abreuvent de leur pseudo vérité sur la facilité de se procurer des armes (je pense bien sûr aux journalistes généralistes-non spécialisés, mais pas que !), je réponds qu'avant de raconter des fables, simplement pour suivre un courant, comme des perroquets, ils feraient bien de se renseigner en profondeur sur les faits. S'ils veulent travailler efficacement qu'ils fassent des enquêtes, dignes ce nom, sur les filières d'armes mafieuses, sur les moyens (ou manques de moyen) des forces de l'ordre et de la justice, et sur la volonté et le courage des politiques de trouver les solutions appropriées.
Taper sur le citoyen lambda, parce qu'il ne peut pas facilement se défendre, n'est que l'expression d'une grande lâcheté. Si certains veulent interdire toutes les armes, il faut alors commencer par interdire tous les couteaux de cuisine...